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En moi-même je me disais : « Mais damoiselle votre âge, si léger ne pouvait vous laisser espérer que peu de choses, alors que moi à la recherche d’expériences nouvelles ne pense en rien devoir vous contenter »!

 Je me concentrais de nouveau sur la route, tout en la regardant de temps à autres, elle n’était pas très belle, mais elle avait des yeux aussi malicieux que son sourire, avec je dois le reconnaître déjà beaucoup de charme.

 Je commençais un peu à regretter mon attitude de l’autre soir ; d’être ainsi convoité par cette enfant, me remplissait à la fois d’un plaisir orgueilleux mais aussi d’un sentiment de culpabilité, sentiment qui sera l’essence même de ma vie par ailleurs. Je me suis et me sentirai toujours coupable de tout ce que je n’aurai pas fait ou dit dans ma vie, ce qui m’a souvent joué des tours par la suite. Mais il parait qu’il est préférable de vivre de regrets plutôt que de remords. Mon grand-père me disait cela enfant, possible que lui aussi se soit trouvé dans une situation identique un jour, et que « paix à son âme », il soit parti dans l’autre monde dévoré de remords.

 Mais revenons à l’instant présent. J’essayais d’oublier ces regards en ne voulant pas y attacher trop d’importance. Comme je vous l’ai dit plus tôt, très vite le tour du village était fait et sans y prendre garde je me suis retrouvé sur une place ou plutôt un parking, un endroit  désert, pas âme qui vive, une voie qui ne mène nulle part, était-ce déjà là un signe du destin ?

Je fis donc le tour de la place pour revenir sur la voie que je venais de quitter. Profitant de la possibilité de stopper le véhicule, je décidai de changer de musique. Ah nous étions encore bien loin du confort des lecteurs CD ou des radios avec recherche automatique des stations, j’avais à l’époque, et c’était déjà un luxe, un simple radio-cassettes, et afin de pouvoir écouter la panoplie complète des hits de l’époque (et oui vingt cinq ans déjà, çà ne me rajeunit pas) il nous fallait une collection monstrueuse de cassettes bien rangées dans des boites conçues à cet effet et qui se trouvaient pour l’heur être installées sur la plage arrière de mon véhicule.

Je m’arrêtai donc, détachai ma ceinture, et allai chercher en m’étirant de tout mon long vers l’arrière une bonne musique d’enfer qui saurait nous faire vibrer et mettre un peu d’ambiance folle dans l’habitacle.

Je revoie la scène ; la tête d’un de mes camarades sur ma gauche qui d’ailleurs ne s’ennuyait pas trop avec sa copine, et sur ma droite le visage de cette jeune fille persévérante mais quelque peu ennuyeuse, j’avais les jambes en l’air pour ne pas perdre l’équilibre et tomber sur la banquette arrière, ce qui n’aurait pas été drôle pour moi surtout, les autres riant de mes clowneries sans aucun problème.

Mais juché dans cette position je ressentis une fois de plus ce chaud-froid dans le dos, ces frissons qui parcouraient mon corps de bas en haut, sensation nouvelle et délicieuse mais étrange à la fois, une force, une énergie statique qui semblaient me tirer hors du temps. Je détournais mon visage vers la droite mû par une force invisible, vers cette fille que j’avais consolée, vers cette enfant au visage si pur, vers cette adolescente au cœur si fragile. Le temps me paraissait s’être suspendu, une attente enivrante, angoissante m’oppressait.

Elle accrocha mon regard comme si elle espérait de moi la réponse à ses questions, comme si mes yeux, ma voix étaient symboles pour elle d’apaisement, comme si toutes les larmes de son corps devaient s’assécher à mon seul contact, comme si… elle voulait faire de moi son rédempteur.

Pendant ces quelques secondes ou minutes d’inattention ou de trop d’attention, je me suis senti désorienté, comme envoûté.

Cette fille aux cheveux couleur du chêne et aux yeux couleur noisette, m’apparaissait soudainement belle à croquer, bien plus âgée que tout à l’heure. Elle posa délicatement ses lèvres au goût de miel sur les miennes et avec la plus grande et la plus sincère innocence m’embrassa. Ce baiser ne fut pas commun, je perdis conscience de toute réalité, rien de ce qui existait autour n’aurait pu troubler la magie de cet instant, non, rien ni personne. Je n’avais jamais connu de baiser plus tendre plus chaud et plus aimant que celui-ci. Une myriade d’étoiles se dessinait devant mes yeux, j’étais emporté par un tourbillon ; était-ce donc cela le coup de foudre ? est-ce que je venais de rencontrer ce que les autres appellaient « l’amour » ?

 

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