En
moi-même je me disais : « Mais damoiselle votre âge, si léger ne
pouvait vous laisser espérer que peu de choses, alors que moi à la recherche
d’expériences nouvelles ne pense en rien devoir vous contenter »! Je
fis donc le tour de la place pour revenir sur la voie que je venais de quitter.
Profitant de la possibilité de stopper le véhicule, je décidai de changer de
musique. Ah nous étions encore bien loin du confort des lecteurs CD ou des
radios avec recherche automatique des stations, j’avais à l’époque, et c’était
déjà un luxe, un simple radio-cassettes, et afin de pouvoir écouter la panoplie
complète des hits de l’époque (et oui vingt cinq ans déjà, çà ne me rajeunit
pas) il nous fallait une collection monstrueuse de cassettes bien rangées dans
des boites conçues à cet effet et qui se trouvaient pour l’heur être installées
sur la plage arrière de mon véhicule. Je
m’arrêtai donc, détachai ma ceinture, et allai chercher en m’étirant de tout
mon long vers l’arrière une bonne musique d’enfer qui saurait nous faire vibrer
et mettre un peu d’ambiance folle dans l’habitacle. Je
revoie la scène ; la tête d’un de mes camarades sur ma gauche qui
d’ailleurs ne s’ennuyait pas trop avec sa copine, et sur ma droite le visage de
cette jeune fille persévérante mais quelque peu ennuyeuse, j’avais les jambes
en l’air pour ne pas perdre l’équilibre et tomber sur la banquette arrière, ce
qui n’aurait pas été drôle pour moi surtout, les autres riant de mes clowneries
sans aucun problème. Mais
juché dans cette position je ressentis une fois de plus ce chaud-froid dans le
dos, ces frissons qui parcouraient mon corps de bas en haut, sensation nouvelle
et délicieuse mais étrange à la fois, une force, une énergie statique qui
semblaient me tirer hors du temps. Je détournais mon visage vers la droite mû
par une force invisible, vers cette fille que j’avais consolée, vers cette
enfant au visage si pur, vers cette adolescente au cœur si fragile. Le temps me
paraissait s’être suspendu, une attente enivrante, angoissante m’oppressait. Elle
accrocha mon regard comme si elle espérait de moi la réponse à ses questions,
comme si mes yeux, ma voix étaient symboles pour elle d’apaisement, comme si
toutes les larmes de son corps devaient s’assécher à mon seul contact, comme
si… elle voulait faire de moi son rédempteur. Pendant
ces quelques secondes ou minutes d’inattention ou de trop d’attention, je me
suis senti désorienté, comme envoûté. Cette
fille aux cheveux couleur du chêne et aux yeux couleur noisette, m’apparaissait
soudainement belle à croquer, bien plus âgée que tout à l’heure. Elle posa
délicatement ses lèvres au goût de miel sur les miennes et avec la plus grande
et la plus sincère innocence m’embrassa. Ce baiser ne fut pas commun, je perdis
conscience de toute réalité, rien de ce qui existait autour n’aurait pu
troubler la magie de cet instant, non, rien ni personne. Je n’avais jamais
connu de baiser plus tendre plus chaud et plus aimant que celui-ci. Une myriade
d’étoiles se dessinait devant mes yeux, j’étais emporté par un
tourbillon ; était-ce donc cela le coup de foudre ? est-ce que je
venais de rencontrer ce que les autres appellaient « l’amour » ?
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