Précédent    Poème precedent     Premiere page    Poème suivant   Suivant   

Elle me regardait étrangement, ses yeux semblant voir bien au-delà de moi-même, comme si j’avais été sans consistance ; son regard accrocha le mien, il semblait interrogateur comme si j’avais été depuis longtemps le premier homme à lui témoigner quelque intérêt.

Le désarroi de cette adolescente à peine sortie de l’enfance était poignant, ses larmes me déchiraient le cœur, j’avais envie de lui venir en aide, de la protéger et je ne savais pas comment faire pour ne pas l’effaroucher. J’avais le sentiment qu’il suffirait d’un petit rien pour qu’elle partage avec moi les raisons de cet immense chagrin.

Ses lèvres s’entrouvrirent et difficilement entre deux sanglots, elle balbutia quelques mots : ‘Il … partit … avec … autre ! moi…» Alors c’était bien cela, j’avais bien deviné ; il s’agissait bien d’un chagrin d’amour. Une peine de cœur comme on en connaît à cet âge là, à l’âge tendre, ce premier chagrin d’amour blessé, celui qui fait le plus souffrir, celui dont les meurtrissures ne s’effacent jamais, dont les cicatrices restent a jamais gravées

Le temps a passé depuis, j’ai atteint l’âge d’homme, et pourtant je me dit encore que la première vraie peine de cœur reste la plus douloureuse.

De nouveau elle regardait le bout de ses pieds, elle semblait honteuse de se livrer ainsi à un parfait inconnu ; je voyais sa poitrine se soulever au rythme d’une respiration saccadée encore secouée de pleurs. Je lui soulevai délicatement le menton l’obligeant ainsi à me regarder. Je l’embrassai sur la joue et pour la réconforter lui murmurai à l’oreille qu’il fallait qu’elle suive sa route et qu’un jour sans aucun doute très proche, elle serait heureuse et rencontrerait l’homme qui saurait l’aimer et la chérir comme elle le mérite, et que quoiqu’elle fasse ou dise à ce jour elle ne pourrait changer la marche de son destin.

Miraculeusement elle avait compris ce que je venais de dire. Un sourire timide éclaira son visage elle sécha ses larmes et me dit qu’elle allait mieux, que c’était passé, qu’elle voulait voir sa sœur qui parlait et riait avec mes amis, et qu’elles allaient maintenant rentrer chez elles.

Chevalier servant jusqu’au bout des ongles, mon esprit chevaleresque n’en resta pas là et je leur proposai galamment de les raccompagner jusque chez elles.

Nous nous entassâmes tous les huit dans mon bolide et quelques minutes plus tard nous déposions les deux jeunes filles devant leur porte.

Pour nous autres il était hors de question d’en rester là, il était beaucoup trop tôt pour finir la soirée ainsi et bien accompagnés , nous rejoignîmes le « camping » improvisé au cœur d’une clairière où nous avions quelques heures plus tôt pris la précaution de planter nos toiles de tente.

Bien nous en prit, ces jeunes allemandes se révélaient bien peu farouches et c’est ainsi que se termina notre petite fête en nous livrant à des jeux quelque peu libertins.

Mais en me réveillant dans la nuit, regardant le ciel à travers l’ouverture de la toile je repensais à celle que je savais triste et qui avait touché mon coeur. Elle était peut-être elle aussi en train de regarder cette lune brillante et ronde que je voyais au travers des sapins, peut-être avait-elle en ce moment même une petite pensée amusée pour ce jeune français un peu cavalier qui l’avait abordée.

Une étoile filante traversa alors mon ciel, je fis un vœu ; je souhaitais très fort que cette attachante jeune fille retrouve sérénité et joie de vivre.

(fin du 1er chapitre)      

Précédent    Poème precedent     Premiere page    Poème suivant   Suivant