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J’étais bien dans ma peau, il ne me semblait plus être dans la réalité comme si en passant cette porte j’entrais dans un autre univers, et j’eus confiance en ce lieu , à son futur comme si j’offrais ma vie à ce monde inconnu, ma vie et mon âme.

Nous nous sommes assis, une serveuse s’approcha de notre table et dans un patois mêlé de français et d’alsacien nous demanda ce que nous prenions. Le choix était restreint : bière, Coca ou le mélange des deux (boisson favorite des jeunes allemands), l’accent de la serveuse qui s’appelait Lize nous fit rire quelque peu comme de grands sots que nous étions.

Notre arrivée avait été très remarquée : les filles nous regardaient et nous adressaient des sourires plutôt enjôleurs, peu farouches. Bientôt nous ne fûmes plus seuls à notre table ; la soirée démarrait sous de bons auspices, nous avions trouvé un lieu pour tromper notre solitude, pour jouir de notre liberté et nous livrer à notre passion favorite, les conquêtes amoureuses.

Nous nous sommes vraiment bien amusés ce soir-là, à danser, boire, flirter. La réputation des jeunes soldats français nous avaient précédés ; il nous suffisait de jeter notre dévolu sur une jeune fille pour qu’elle nous « tombe dans les bras », et je dois avouer non sans honte aujourd’hui, que notre « tableau de chasse » se complétait de soir en soir.

 Au fil du temps cet endroit devint pour nous lieu de rencontres amusements et libertinage. Que rêver de plus à 18 ans, il suffisait à notre orgueil de  mâle d’être le centre d’intérêt des jeunes allemandes. C’était à peine imaginable.

 Et puis un soir, ni plus ni moins semblable aux autres soirs, nous étions là Eric, Henri dit « la frite » car il était belge et moi-même, assis au même endroit que d’habitude, au fond de la salle pour garder l’œil sur le bar et la piste, riant, matant, l’œil aguicheur, usant et abusant de notre statut de soldats, car nous dépensions sans compter et nous étions devenus un peu les seigneurs de la place, la poule aux œufs d’or quoi !

 Je ne sais pourquoi, je ne pouvais depuis notre arrivée m’empêcher de ressentir un sentiment étrange, j’avais l’impression d’être dans l’attente d’un évènement exceptionnel, comme si ce soir il allait se produire quelque chose, je ne sais pas quoi allait changer ma vie comme si …

L’ambiance était chaude, l’atmosphère de fête qui régnait dans l’endroit nous laisser présager une soirée très animée. Près de l’entrée nous avions remarqué un petit groupe de jeunes filles qui nous jetaient de temps en temps des regards curieux en minaudant.

Sur la platine, le DJ venait de mettre Y.M.C.A. Avec les copains, nous avions mis au point une chorégraphie pour épater les filles, et nous voilà sur la piste ; oubliés les soucis, oubliée la caserne, nous n’étions plus militaires ce soir, chacun de nous se prenait pour Travolta dans « La Fièvre du Samedi Soir ».

Quelques danseurs s’évertuaient à suivre la cadence, c’était enivrant d’être un peu la vedette.

Près de l’entrée, les filles s’étaient arrêtaient de parler, elles nous regardaient avec amusement, elles étaient belles, elles souriaient, elles semblaient aimer la vie, et nous aussi. Mais il y en avait une qui restait un peu en retrait, le regard noyé dans le vague elle ne semblait pas participer à l’amusement général.

A la fin de la danse un peu essoufflés, mais sûrs de notre effet, nous les avons abordées et entrepris la conversation mêlant le français aux quelques mots allemands que nous connaissions, ou mieux encore, aux gestes.

Elles semblaient toutes très sympathiques, mais je ne pouvais détacher mon regard de la seule qui ne se mêlait pas à la conversation, et pour cause je crois qu’elle pleurait.

Elle faisait peine à voir, je ressentais son chagrin presque aussi fort que si c’eût été le mien. Prenant mon courage à deux mains j’allais vers elle, comme un Saint Bernard vers un cœur en détresse.

 Je m’approchai un peu plus d’elle, je voyais sa poitrine se soulever, émue par de gros sanglots, et je pensais tout de suite qu’il ne pouvait s’agir là que d’un chagrin d’amour.

Lentement je mis mes bras de chaque coté de son visage, les mains appuyées au mur, je restais là n’ayant plus conscience des gens qui nous entouraient, n’osant plus rien dire de peur de la blesser davantage, ressentant sa douleur jusqu’au plus profond de mon être, l’accompagnant presque dans ses pleurs ; dans un geste plus audacieux, je relevais son visage, essuyant les larmes qui coulaient sur ses joues d’enfant.

 

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