J’étais
bien dans ma peau, il ne me semblait plus être dans la réalité comme si en
passant cette porte j’entrais dans un autre univers, et j’eus confiance en ce
lieu , à son futur comme si j’offrais ma vie à ce monde inconnu, ma vie et
mon âme. Nous
nous sommes assis, une serveuse s’approcha de notre table et dans un patois
mêlé de français et d’alsacien nous demanda ce que nous prenions. Le choix
était restreint : bière, Coca ou le mélange des deux (boisson favorite des
jeunes allemands), l’accent de la serveuse qui s’appelait Lize nous fit rire
quelque peu comme de grands sots que nous étions. Notre
arrivée avait été très remarquée : les filles nous regardaient et nous
adressaient des sourires plutôt enjôleurs, peu farouches. Bientôt nous ne fûmes
plus seuls à notre table ; la soirée démarrait sous de bons auspices, nous
avions trouvé un lieu pour tromper notre solitude, pour jouir de notre liberté
et nous livrer à notre passion favorite, les conquêtes amoureuses. Nous
nous sommes vraiment bien amusés ce soir-là, à danser, boire, flirter. La
réputation des jeunes soldats français nous avaient précédés ; il nous
suffisait de jeter notre dévolu sur une jeune fille pour qu’elle nous
« tombe dans les bras », et je dois avouer non sans honte
aujourd’hui, que notre « tableau de chasse » se complétait de soir en
soir. Au fil du temps cet endroit devint pour nous
lieu de rencontres amusements et libertinage. Que rêver de plus à 18 ans, il
suffisait à notre orgueil de mâle d’être
le centre d’intérêt des jeunes allemandes. C’était à peine imaginable. L’ambiance
était chaude, l’atmosphère de fête qui régnait dans l’endroit nous laisser
présager une soirée très animée. Près de l’entrée nous avions remarqué un petit
groupe de jeunes filles qui nous jetaient de temps en temps des regards curieux
en minaudant. Sur
la platine, le DJ venait de mettre Y.M.C.A. Avec les copains, nous avions mis
au point une chorégraphie pour épater les filles, et nous voilà sur la
piste ; oubliés les soucis, oubliée la caserne, nous n’étions plus
militaires ce soir, chacun de nous se prenait pour Travolta dans « La
Fièvre du Samedi Soir ». Quelques
danseurs s’évertuaient à suivre la cadence, c’était enivrant d’être un peu la
vedette. Près
de l’entrée, les filles s’étaient arrêtaient de parler, elles nous regardaient
avec amusement, elles étaient belles, elles souriaient, elles semblaient aimer
la vie, et nous aussi. Mais il y en avait une qui restait un peu en retrait, le
regard noyé dans le vague elle ne semblait pas participer à l’amusement
général. A
la fin de la danse un peu essoufflés, mais sûrs de notre effet, nous les avons
abordées et entrepris la conversation mêlant le français aux quelques mots
allemands que nous connaissions, ou mieux encore, aux gestes. Elles
semblaient toutes très sympathiques, mais je ne pouvais détacher mon regard de
la seule qui ne se mêlait pas à la conversation, et pour cause je crois qu’elle
pleurait. Elle
faisait peine à voir, je ressentais son chagrin presque aussi fort que si c’eût
été le mien. Prenant mon courage à deux mains j’allais vers elle, comme un
Saint Bernard vers un cœur en détresse. Lentement
je mis mes bras de chaque coté de son visage, les mains appuyées au mur, je
restais là n’ayant plus conscience des gens qui nous entouraient, n’osant plus
rien dire de peur de la blesser davantage, ressentant sa douleur jusqu’au plus
profond de mon être, l’accompagnant presque dans ses pleurs ; dans un
geste plus audacieux, je relevais son visage, essuyant les larmes qui coulaient
sur ses joues d’enfant.
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